Le samedi 16 août 2025, la colline de Rubara, dans la commune de Musongati (province de Rutana, au Burundi), a été le théâtre d’une cérémonie hautement symbolique : la pose de la première pierre du chemin de fer reliant Uvinza (Tanzanie) à Musongati (Burundi). Le président burundais Évariste Ndayishimiye et le Premier ministre tanzanien Kassim Majaliwa ont scellé ce lancement officiel, en présence de nombreuses personnalités, dont le président de la Banque africaine de développement (BAD), partenaire financier central du projet.
Au-delà de l’image, l’événement marque le coup d’envoi d’un chantier qui pourrait remodeler en profondeur les échanges commerciaux dans la région des Grands Lacs. La ligne Uvinza–Musongati, longue de 282 kilomètres, constitue la première liaison ferroviaire internationale du Burundi depuis son indépendance. Elle se compose de deux tronçons : 180 km entre Uvinza et la rivière Malagarazi, à la frontière burundaise et 102 km supplémentaires jusqu’à Musongati.
Le projet, confié aux géants chinois China Railway Engineering Group (CREGC) et China Railway Engineering Consulting Group (CREDC), représente un investissement évalué à 2,14 milliards de dollars. Son financement est largement soutenu par la BAD, qui a mobilisé près de 700 millions de dollars dès 2023, avec la perspective de rallier d’autres bailleurs pour porter l’enveloppe totale à plus de 3,2 milliards. La construction, prévue sur 72 mois, doit être suivie d’une année de tests avant la mise en service. La ligne adoptera l’écartement standard international (1 435 mm), sera entièrement électrifiée et respectera les normes techniques de l’Union internationale des chemins de fer.
Le pari économique du Burundi et de la Tanzanie
Si ce chemin de fer suscite autant d’attentes, c’est qu’il promet de révolutionner la logistique régionale. Aujourd’hui, un trajet routier entre Dar es-Salaam et Bujumbura peut prendre jusqu’à quatre jours ; demain, le train pourrait ramener ce temps de parcours à moins de 20 heures.
Le ministre tanzanien des Transports, Prof. Makame Mbarawa, a indiqué lors de la cérémonie que le coût du transport d’un conteneur de 20 pieds, aujourd’hui évalué à 3 800 dollars, pourrait tomber à environ 2 000 dollars une fois le chemin de fer opérationnel. Dans le même temps, chaque train pourra transporter jusqu’à 3 000 tonnes de marchandises, soit l’équivalent de près de 100 camions.
Pour le Burundi, enclavé et dépendant de ses voisins pour l’accès à l’océan Indien, l’infrastructure est une bouffée d’oxygène économique. Elle doit permettre d’écouler plus facilement ses ressources minières – notamment le nickel, dont le pays dispose de gisements parmi les plus riches au monde, mais aussi le lithium et le cobalt. Ces minerais stratégiques, prisés par l’industrie mondiale des batteries, trouveront ainsi une voie rapide vers le port de Dar es-Salaam. Les flux attendus dépasseraient les 3 millions de tonnes par an

Une ambition régionale et panafricaine
Le projet Uvinza–Musongati n’est qu’une pièce d’un puzzle plus vaste : la modernisation du corridor central tanzanien. Depuis plusieurs années, Dodoma investit massivement dans son réseau ferroviaire à écartement standard, reliant déjà Dar es-Salaam à Morogoro, puis à Dodoma et Tabora. L’extension vers Kigoma et maintenant le Burundi complète ce maillage.
À plus long terme, la ligne devrait être prolongée jusqu’à Gitega et Bujumbura, puis rejoindre la République démocratique du Congo, à Kindu. Cette perspective place le projet au cœur d’un corridor est–ouest qui pourrait, un jour, relier l’océan Indien à l’Atlantique. Cette ambition dépasse la seule logistique : il s’agit de repositionner l’Afrique centrale et orientale dans les grands flux commerciaux mondiaux, tout en réduisant la dépendance aux routes fragiles et coûteuses.
Défis a surpasser
Le projet n’est pas exempt de défis. Son coût, initialement annoncé autour de 2 milliards, pourrait grimper au-delà de 3,9 milliards de dollars, selon certaines estimations récentes . Les retards et les surcoûts, fréquents dans les grands chantiers ferroviaires africains, sont un risque bien identifié.
Pourtant, les dirigeants burundais et tanzaniens affichent leur détermination. « Ce chemin de fer incarne notre volonté d’intégration régionale et de prospérité partagée », a insisté Kassim Majaliwa. Le président Ndayishimiye, de son côté, a parlé d’un « tournant historique pour l’économie burundaise ».
Le projet Uvinza–Musongati en bref
- Longueur totale : 282 km (180 km en Tanzanie, 102 km au Burundi)
- Investissement : 2,14 milliards USD (estimation initiale, pouvant dépasser 3,9 milliards)
- Financement : BAD (696 M$ validés en 2023) + autres partenaires financiers attendus
- Entreprises : China Railway Engineering Group (CREGC) & China Railway Engineering Consulting Group (CREDC)
- Durée des travaux : 72 mois de construction + 12 mois de tests
- Capacité de transport : 3 000 tonnes par train (≈100 camions)
- Coût transport conteneur 20′ : 3 800 $ → ~2 000 $ après mise en service
- Volume minéral estimé : jusqu’à 3 millions de tonnes par an
- Extension prévue : Gitega, Bujumbura, puis Kindu (RDC)
